zoë wittering photographe

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Reportage du 24 mars

Un 24 pas comme les autres.

Plusieurs ont documenté le 24 décembre sur Instagram en prenant une photo par heure, y compris moi meme et caroline. On a tant aimé qu’on a décidé d’intégrer le reportage du 24 dans nos projets 366 de cette année. Le principle est simple, le 24 du mois on prend des photos pour en faire un reportage de la journée en images.

Le 24 janvier il faisait froid, je suis allée courir en bonnet et gants. L’après midi devant l’ordi, rien d’exceptionnel. C’était un vendredi, la soirée passée dans les gymnases, pizza emportée.

Le 24 février était pendant les vacances. J’ai commencé la journée dans les Alpes et fini la journée chez moi après presque 6 heures de route. Entre temps, un café au soleil avec ma fille, backgammon sur une terrasse, la vue des montagnes, des bouchons sur la route et le péage.

Mais c’est tout cela l’idée du reportage. Documenter tout. Tous les moments de l’ordinaire.

Et puis on arrive au 24 mars.

11ieme jour de confinement. On a l’impression que la vie s’est arrêtée. Le temps pèse lourd. Chaque moment ici me semble si ordinaire par rapport aux vies de ceux qui travaillent dans les hôpitaux ou ailleurs. Et, au meme temps, rien n’est ordinaire.

06H30 Les oiseaux chantent… c’est mon réveil. Il est tot et je suis fatiguée. J’ouvre les yeux et je sais déjà qu’il ne fait pas beau. La lumière qui passe a travers les rideaux est mutée. Les nuages lourds et gris pendent sur les collines. Il pleut doucement. J’ai pas envie de me lever mais je descends l’escalier. Le besoin de passer quelques minutes toute seule est plus fort que l’envie de dormir.

Je vois les pantoufles près de sa porte, qu’il enfilera pour descendre dans pas longtemps. J’echange des messages avec mon frère et ma soeur, je prepare mon café et je regarde les journaux en ligne. Ils ont annoncé le lockdown en Angleterre hier soir, Facebook vibre avec des messages.

J’entends ses pas….il vient pour un câlin et me pose la meme question que tous les matins depuis une semaine “il y en a combien de cas maintenant?”

Les garçons déjeunent, les filles font du sport et je prends un deuxième café. Je me recentre, je regarde un chat qui se promène dans le jardin, les feuilles de l’olivier qui volent dans le brise du matin. Je respire.

Puis je bouge, on entame la journée pour de vrai - je me douche, me mets les boucles d’oreilles et le visage qui dit “tout va bien”. 8H22

8H35 Le matin c’est l’école/college/lycée. Dictée des mots invariables, la proportionnalité et espagnol. Il y a des cours virtuels, d’autres qu’on écrit. Je suis, depuis peu, support informatique, on crée documents, les transforme de word en pdf, ou de notes en pages, les envoie, on télécharge et imprime, on scanne et attache ou prend en photo et envoie….et on arrache les cheveux … on commence a prendre l’habitude…c’est mieux que c’était il y a quelques jours je me dis.

Mais tout le temps j’ai comme un film en noir et blanc qui tourne sans arrêt dans ma tete. Des images sans voix, des voix sans visages. Un film tout flou sans réponses. Les “et si…” qui tourne et tourne…

9H55 Je manque de patience. je sors deux minutes pour souffler.

11.20 On continue les cours et je me prepare pour faire les courses. Je ne suis pas sortie depuis 8 jours… faire les courses, que je faisais sans y penser il y a meme pas deux semaines devient un sortie d’exception. Et ca me stresse. J’ai pas envie de leur faire peur mais j’ai peur. Et par rapport a tant de personnes ca me semble ridicule mais au meme temps ca fait bien de le dire. Si je tombe malade qui s’occupera d’eux? qui fera les courses? J’ai pas envie qu’ils seront obligé de sortir. Depuis petite je promène avec le ventolin et plus dans la poche ou le sac. Je sais ce que c’est d’avoir du mal à respirer.

Mais j’avale la peur. Je le cache dans un coin et je pars.

11H45 Les rues sontvides, le monsieur du tabac me salue avec sa masque jusqu’aux yeux. Je me gare facilement et sors de la voiture. Les oiseaux chantent.

Je prend le caddy et entre dans le magasin. J’ai la sensation d’être dans un jeu, d’être un pion qu’on bouge, chacun a son tour. Que des adultes. Toujours avec la distance. Tous en silence. Finalement c’est la manque de bruit qui est le plus étrange. A part la voix à repetition dans ma tete “ne touche pas ton visage, ne touche pas ton visage”.

12H16 Tout est dans la voiture et je nettoie les mains ave du gel. Et encore au cas ou.

A la maison je les nettoie avec du savon. Puis je nettoie et range et nettoie et range.

13H34 On mange tard puis on finit d’envoyer le travail du matin et je me refuge dans ma chambre quelques minutes pour lire des messages. Je sais qu’il serait mieux de ne pas regarder les actualités mais je le fais quand meme.

14H26 Deux se remettent au travail mais une n’a pas envie. Ses copains lui manquent, la distance est dure et ils parlent de prolongement de la confinement … je n’ai pas de mots. Netflix en trouve.

15H50 On s’occupe avec des petits challenges entre amis ou de la famille. On se bat contre l’ennuie, la manque de motivation qui reste quand meme juste derriere.

16H15 Un dernier projet d’art plastique à photographier pour aujourd'hui et un peu de ménage.

17H50 Ils jouent, elle fait un dernier cours en ligne et je me mets au travail.

18H20 La fin de la journée s’approche … la fatigue s’installe.

19H15 On range et on souffle.

20H05 Et puis on dine. On passe à autre chose. Pas de dessert mais du chocolat. Ca fait du bien.

20H50 Ligne droite….l’histoire avant d’aller se coucher et un câlin. Il demande combien de morts il y a en France. On parle pourcentages et je vois son cerveau qui travaille. Puis on parle des plages et des montagnes et du tennis et des balades dans le forêt….

21H35 Encore des questions aussi. Puis on parle VTT et vacances, youtube et tiktok.

21H50 Je parle avec ma mère et Caroline. Pas de photo mais le souvenir d’un sourire qui m’a fait un bien fou.

Et je me couche. 22H47.